Souvenir d'un voyage de Philippe enfant
à la Fosse Pelier, un lieu-dit de Vouvray :
[...]
C'est ici qu'est née ma maman, dans cette
maison blanche et pauvre de grosses pierres, basse, sans
étage, presque de plain-pied avec les raisins. Une vieille
grille rouillée la sépare du chemin vicinal poudreux, cette
petite cour où elle a dû jouer. Et puis les vignes à perte de
vue. Cette odeur qui m'enivre et que je ne sais dire. Du
sable, un pur silice, le feuillage vert des ceps, l'âme du vin
à venir. En fermant les yeux je pense à la mer. Et je
reste longtemps devant cet océan de verdure éclaboussé de
sulfate de cuivre, à deviner les boules d'or en grappes,
douces aux doigts et puis fraîches dans le fond du coeur
lorsqu'on les croque. C'est là qu'on me déniche, oublié un
instant dans ces retrouvailles familiales, et pleurant devant
cette douce beauté.
- Petit fou, va !
Oserai-je dire combien ces grains du raisin ressemblent aux
boules d'ivoire du collier de ma mère, sur sa gorge brûlante,
la porte magique qui ouvre sommeil et rêve ? Là où j'enfouis
ma tête, quand juste au-dessus, à fleur d'oreille, de cou et
de nuque, descend la pluie des baisers et des mots faits pour
moi ?
Dans la maison des vignes je vais découvrir
l'autre grand-mère, au visage de crêpe bretonne, taraudé de
petite vérole, avec ses gestes lents d’hémiplégiques, à la
voix basse, un peu grave, de vieille mère qui mit bas sans
cesse et durement. Je la vois sèche et dure. J’ignore en fait
qu’elle est pétrie de terre à granit et d’ajoncs marins et que
ses grands yeux bleus attendent toujours le retour d’une voile
même en pays de châteaux. Comme elles sont différentes mes
deux grands-mères ! L'une est ronde, luisante et parle
toujours. Celle-ci est maigre, cassée, et regarde tout, très
vite.
On me dit qu’ici il n’y a plus de
grand-père. Depuis longtemps Louis Célestin Contreau est mort
dans ses vignes.
[...]
Un autre passage lors d'une fête de
famille :
[...]
- C'est y qu'on a eu du mal à arriver, hein
ma bonne Louise ?
Encore un bouchon dans le ciel bleu. Grand-père boit
toujours.Papa détourne la tête. Il songe à son enfance, entre
l'homme roux et sa pieuse épouse qui ne sait que subir et
prier.
- Nous n’avons pas bu le Vouvray ! du pays de mon enfance
… dit maman.
Un bouchon encore.
Son enfance ! Plus douce mais aussi plus pauvre. Louis
Célestin Contreau, mon autre grand-père était aussi sans
instruction. Fils naturel d’une journalière et d’un homme
célèbre dit-on il est dépossédé d’un legs par ses cousins
que la république avait élevés au rang de tuteurs. Ils l’ont
fait trimer sur cette terre acquise avec son bien. Puis
l’enfant était courageux : c’était une aubaine !
Il rencontre aussi pauvre que lui, une douce bretonne pieuse
venue se placer. Alors il fit neuf enfants à
Marie-joséphine, l’un après l’autre comme il se doit, sur la
petite vigne qu’il mit vingt-cinq ans à payer.
[...]
Lien vers un texte sur le parfum de la
terre de Vouvray