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  Emile et Louise Trouvé

Extraits du "Grand voyage d'un mouton blanc"

 

Emile Trouvé, l’homme roux, enfant de la balle devenu colporteur, sachant à peine lire et écrire, qui passe par un château normand enlever Louise qui a, comme on disait, fauté … avec un garçon de ferme. Sa carriole de marchand ambulant fut jugée assez bonne par le père métayer, furieux, pour y laisser asseoir sa fille. Fouette, cocher ! Les voici partis acheter une minuscule crèmerie dans une rue en pente, chargée d’immondices qui nageaient jusqu’en la rivière de notre petite ville. Peu de temps après sa demi-sœur, mon père y naîtra.

 

Premiers souvenirs :

L’homme roux à moustaches qui s’est mis au volant fait de la fumée avec sa bouche. Une voilette s’est penchée vers moi, des mains gantées de mailles m’enlèvent à maman pour m’étendre entre elles deux.

Je pense à  ce soir où mon grand-père me ramenait sur son épaule, m’élevant à bout de bras vers un ciel bleu et noir, avec en plein milieu, cette lune si drôle et si grave dans laquelle je voyais un visage d’homme. Ce soir là, j’appris que la lune était une dame et j’éclatai de rire. Il me tenait en l’air, face à une réclame peinte sur un mur. Cela représentait un gros bébé faisant la lippe (le vilain bébé). Son image, démesurément grande dans l’ombre, pour le fameux « vermifuge lune ». Et le père Trouvé chantait en me faisant danser au bout de ses poings dans un étourdissant ballet. C’est la valse brune … des chevaliers de la lune … que la lumière importune …

 

Je le revois, au jour de ses soixante ans, remontant l’allée de graviers agrippé aux fils de fer à étendre le linge qui la bordaient.
-         Ma bonne Louise, j’suis saoul comme un’ bourrique !
Il dut dormir dans le garage, sur l’herbe des lapins. Ceux-ci n’en voulurent point, le lendemain.

 

Georges rentre de captivité après la guerre :

Emile et Louise se précipitent dans la rue. Ils sont en larmes. Georges et Yvonne viennent de passer le pont de la rivière. Cent mètres les séparent. Mon grand-père va vers eux et il tend les bras, son chapeau à la main. Grand-mère le suit avec peine et crie le nom de son fils qui s’approche. Les mains de mon père tremblent et son visage est blanc. J’ai couru pour me trouver entre eux. Ils arrivent. Emile tombe à genoux devant son fils :
-         Pardon mon petit gars. Et il tend les mains. Pardon de tout c’que j’tai fait autrefois !
Grand-mère s’est nichée dans les bras de son fils. Le fils relève son père. Maman est derrière eux et moi en retrait. Je suis heureux. La guerre est finie !

 

 

-         Emile tu dois donner une maison à ton fils.
Le mot fils a été prononcé au-delà de la syllabe, comme pour signifier l’image sacro-sainte de la descendance. Contrairement aux astuces des enchères Emile Trouvé a crié la toute première, de sa voix rauque d’avoir fait les marchés. Ça fuse autour de lui comme des bouchons, les sommes. La voix du notaire prend la peine de redéfinir l’objet :
-         Il s’agit donc d’un corps de bâtiment, à usage d’habitation …
-         J’ai dit 750.000, clame Emile avec défi.
Maintenant la colère le tient, il se racle la gorge, surpris, tout de même, de ne trouver aucun petit verre à portée de main. Lui qui sait crier sur les marchés forains, l’ancien champion de marche athlétique qui porte ses médailles tatouées au bras, a bombé le torse pour dire enfin :
-         C’est pas pour moi. C’est pour mon gars qu’a fait cinq ans aux stalags. J’dis 800.000, tiens !
Dans le silence qui s’est fait il a ajouté, plus bas :
-         C’est tout ce que j’ai.
Alors, de quelque part, du fond des âges, des gens obscurs, des mals nourris et des sans lieu, des générations de soumis ont du bouger leurs ossuaires, trouvant un souffle pour éteindre la bougie. …

 

 

Lien vers un poème de Philippe dédié à son grand père : La première croisade du manoir de Cheffreville-Tonnencourt