Accueil / Textes / Tableaux Vivants

 TABLEAUX VIVANTS

à la manière de peintres

à Delvaux 


La Source 2004

Une station balnéaire que dessert un express. Il parvient jusqu'à l'eau, ou presque, et le quai se confond avec la jetée, déserte ce matin. Il arrive en soufflant sa fumée, et déjà là ce sont de vieux messieurs tous chauves, qui ouvrent les portières. Ce ne sont que des femmes qui mettent pied au sol, et qu'on distingue à peine, tant la vapeur gicle.

Puis tout redevient calme, et l'on découvre alors qu'elles sont toutes nues, avec leur seul chapeau immense et incongru. Curieux, ces petits gnomes moustachus et grotesques, obséquieux dans leurs gestes, qui conduisent chaque dame vers sa cabine de bain.

Pour qui n'a rien à faire, c'est plaisant que d'attendre. Il est déjà midi, elles ne sont point sorties. Mais où sont donc passés les plagistes podagres et ventrus ? Seraient-ils donc entrés eux aussi en cabine? Est-ce une plage à la mode ou bien un lupanar?

C'est à l'heure de la sieste que s'ouvrent les volets de ces maisonnettes closes. Puis les dames apparaissent, sur le seuil, vêtues d'amples chlamydes de mode grecque antique, et peintes et fardées telles les hiérodules du quartier Céramique, dans l'Athènes d'autrefois.

Sur le pas de leur porte, d'autres femmes les viennent voir, les observant de prés. Elles semblent être du lieu et vêtues bourgeoisement. Certaines, pincent leurs pointes de sein, du bout d'un doigt ganté, d'autres regardent leur croupe, en soulevant l'étoffe.

On dirait un marché d'esclaves des temps anciens, mais ce ne sont que dames qui viennent en voir d'autres! Plage des Flandres ou Lesbos, ou bien un jeu de rôles, et cela dure des heures jusqu'au coucher du jour.

C'est tout un pensionnat de bien jeunes demoiselles qui vient en rang serré, leur veste bleu marine est sertie à la taille d'un large ruban blanc, noué au ventre en hélice. Une dame comme il faut soulève devant leurs yeux les chlamydes polychromes, puis, leur parlant tout bas, les invite à palper les chairs dénudées. Menottes gantées de blanc, elles s'exécutent alors, laissant plus qu'il convient leurs jeunes doigts nerveux à l'assaut des rondeurs. Est ce une leçon de choses, un cours d'esthétique, ou une école perverse dévoyant les enfants ?

La nuit vient de tomber, les visiteuses parties les dames en visite rentrent dans leur cabine. Voici que vient le train qui les a amenées. Elles y remontent toutes, nues comme à leur arrivée. Les petits bonshommes drôles ont refermé les portes. Pour qui vient de passer toute une journée à voir, il faut dire l'étrangeté d'une pareille affaire. Mais le plus surprenant c'est bien la calvitie de tous ces petits hommes!