Arbre gris 
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La fleur du citronnier


Publié aux éditions Encres vives
en décembre 2005 dans le recueil
"Adieu la vie ! Tu m'écriras ?"
(coll. Encres Blanches)
  puis repris dans l'anthologie d'avril 2006 des collections Encres vives

 
C'est une rue à arcades à l'aube d'un jour d'été. En Italie bien sûr. La Piazza fut lavée dans le petit matin. La pierre en est humide encore. Sous les voûtes c'est frais et personne n'y passe. Aucune fleur ici. Cette senteur pourtant, et un rien douce-amère.
Au mur de la Chiesa, sous un grillage rouillé, une madone tendre est peinte sur le plâtre, a fresca.
Un Palazzo à droite ouvre son porche vide. Un escalier de marbre dans une pénombre froide tinte d'un pas furtif qui monte et qui se tait. Silence de ce parfum qu'abolit sa présence. On pense à une fille, à son jupon de neige, qui grimpe se coucher dans ce petit jour clair en refermant la porte après sa nuit de fête laissant dans son sillage la fragrance de sa chair.
Longtemps à respirer ses rêves et son sommeil. On songe et on s'oublie dans le dédale profond de son odeur de tête. Pourtant la note fruitée revient dedans son cœur et vous habite alors. Aimer sans savoir qui, voilà tout le mirage des femmes-fleurs qu'on hume sans les voir.
A regret on s'éloigne, mais l'œil reste rivé à la Persiana verte, jalousie de principe à la couleur passée.

Midi sous le marché, soudain le même arôme. Un fruit vert aux bras nus serre contre ses seins naissants citrons et mandarines. Blottis sur son cou blanc, jaune de chrome et tango dansent sous ses longs cheveux noirs, dans une haie d'arbustes aux fleurs à cinq pétales.

Fatimah aux mangues

 

 

Myriam aux tangerines
Limone, dit la marchande en croquant un bonbon. Limone, tel un prénom de fille qu'on ose imaginer ruisselante d'eau tiède et un savon ovale au creux de sa paume rose.
La tête sous les branches, c'est une féerie toute lente qui monte en vous, enivre, et fait rêver, alors.
Exhalaison d'agrume dans le froissis des linges et les effluves des corps épars dans la Via. Senteur qui sourd des pores de ce qui est féminin dans cette ville si fraîche et si chaude à la fois. La peau même des visages en semble toute imprégnée, et les gorges dénudées pétries de son odeur. Est ce le Profumo di Donna dont parlait le capitaine aveugle en son film symbolique?

On chemine, yeux clos cherchant le Palazzo entrevu au matin. Au soir la rue d'arcade est sombre, l'entrée un rien sinistre gardée par un chien noir. Sentir une fois encore ce capiteux parfum. Mais on songe au poète, à son vers des Enfers. "Lasciate ogni speranza, voï qu'entrate". Cerbère me regarde. Hécate doit dormir. La fleur du citronnier demeure comme la quête d'un plaisir défendu, un rêve fort étrange.

Être ange ou ne pas être, voilà le prix de son désir.

La source - 2005