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Poèmes Personnels

 

 

 

 

Je chante le chant du temps... 


 

 

 

Texte écrit en octobre 1977,
lu sur scène à Aix en Provence en 1977

 

 

 

 

Quand trouverons nous un peu de temps pour nous aimer
maintenant que nos joies sont plus brèves
et que le hasard nous cache à nous même nos corps
quand reprendrons nous le chemin de nos corps
maintenant que je presse le pas et que le vent
et que le vent emporte ailleurs, à chacun, nos mots séparément.

Je dis que mon amour est aussi dans cette ville
il dormira seul comme moi cette nuit
tout le temps qu'on m'a pris
et que j'ai laissé passer
m'amène au blanc alcool
au lieu d'aller chez toi

parce que tu as gardé ta robe d'encre noire
et qu'immobile auprès d'un puits
tu fermes déjà les yeux
je tourne la tête dans la direction du soleil qui se lèverait
parce que sous ta robe est un linge incolore
et qu'indolore au pied du lit
tu retournes dans ton enfance
j'enferme mon envie dans sa boîte noire qui se laisse clouer
là-bas
là-bas c'est où je vais et tu me suis trop vite
là-bas les camarades portent des scapulaires
leur fête est si étrange
comme elle me fait envie
amour.. empêche-moi d'aller pour les rejoindre
avec des syllabes muettes tu enfantais le matin

des glycines
au dehors
et à l'abri du givre

quand aurons nous gagné notre temps de confiance
les deux mains refermées sur un édredon blanc
la chanson revenue la chambre de l'aimance
devrons nous le payer du râle des gisants...

 

 

 
Je me vois sous tes yeux comme partir en mer
je monte et je descends la vague temporelle
et c'est bien toi qui gonfle au presque lointain clair
d'une demi-chambre éteinte
qui fait peur à mon ombre

gentils coqu'licots mesdames
gentils coqu'licots nouveaux...

quand trouverons nous un peu de force pour accrocher nos bras
à nos épaules
visser les têtes à notre cœur
vaporiser de rire un peu notre visage
et nous mettre à l'oreille une fleur d'hibiscus ...
et vivre
vivre.....
j'ai l'impression dernière que les autres sont morts
on n'attend plus que nous pour fermer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

je rends du vide avec des mots
je prends la peur avec à boire
je verse la mort avec ma peau
je sens la vie avec le soir

je veux je voudrais essayer au moins une fois
me démaquiller là... pour que l'on rie de moi
pour ne pas être seul à me regarder faire

voilà je ne sais pas mentir
et j'en rêve
et j'enrage
alors je mens mal
et je m'en fous

je suis un rachitique pris entre deux faux
je suis un alcoolique pris entre deux verres
je suis anachronique pris entre deux guerres
pourtant je sais que je puis dire des mots très doux
qui me calment
et me font oublier le temps que je les dis
le temps que je les aime
que je ne voudrais jamais
mourir

j'ai descendu dans mon jardin
pour y cueillir...
... je ne me rappelle plus très bien ...
eh ! vous...
madame...
s'il est certain que nous sommes les seuls survivants de ce
honteux naufrage
permettez que je vous demande...
à voir vos yeux vous avez beaucoup pleuré
comme vous regardez...
mais qu'y a-t-il là-bas...
vous avez vu partir quelqu'un ?
au moins regardez moi pour la première fois...
au moins regarde moi comme pour la première fois

et-je-vais-convoquer-un orchestre-de-singes
pour témoin je prendrai... mon chat... des colibris...
et des lézards géants revenant d'un autre âge

si je trouvais le temps pour te redécouvrir
pour inventer de toi une image équivoque
et pour débarrasser ce portrait... des... portraits
alors

 
   

ma joie ma vie comme dans ton village
devant un poêle de fonte et face aux chaises mortes
sur un fond neige amour sur un fond neige morte
et à la lueur d'un seul chandelier

comme tes yeux ont navigué beau rêve...
comme ils se font argent sur un masque de cuivre
comme au loin tu regardes et comme tu te lèves...

la fille du roi m'a pris la main
la fille du roi m'a pris la main
et m'a conduit devant son lit....
gentil coquelicot madame
gentil coquelicot
nouveau...

 

Quand trouverons nous un peu d'amour pour notre temps !
maintenant que nous savons comment il s'en va...
et que les passages nous masquent à nous mêmes
quand trouverons nous la cachette illusoire des mots abandonnés
maintenant que nous savons le vent
et que les joies n'emportent pas ailleurs nos corps infiniment...

 

Octobre 77