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Poèmes Personnels
 

 Adieu aux pierres 


 

 

Comment ne plus vouloir de toi
toi qui m'a fait si bien vieillir ...
j'ai tant trimé pour te séduire
et je t'ai payée moi par moi

Ils ne te voulaient plus déjà
avais-tu cessé de leur plaire ...

Tu étais belle et je t'aimais
jour après jour je t'ai chargée
d'abord de mes colifichets
j'étais pauvre ... tu le savais

Puis je t'ai comblée de parures
et j'allais jusqu'au bout du monde
te rapporter ces pierres dures
en fraude

Depuis Mogok Ratnapura dans les trains verts de Malaysia
à la nuit avec des filles douces
c'était à toi que je songeais
encore

Mes amours en toi ma complice
ma grotte des mille et une nuits ...
tu laissais entrer ces corps lisses
ôtant leurs linges sans un bruit

Et tu t'ouvrais large et profonde
comme un grand vaisseau de haut bord
appareillant vers tes doux larges
et rentrant avec l'aube au port

Non jamais tu n'as murmuré
si je fus impudique à tes murs
ni aux vierges ni aux putains
tu n'as jamais dit de mots durs

On s'aimait ! C'était bien cela ?

Moi loin de toi pendant des mois ...
que d'hiver tu as passée seule
glacée de froid !

Puis vint le temps des solitudes
où je vins me blottir là
réveillonnant sur des sourires
que tu conservais dans les draps

On se réchauffait l'un à l'autre
en allumant mes souvenirs
et regardant brûler ton bois

On me saluait de par ton nom
et j'étais toi
on t'appelait de par le mien
tu étais moi !

Et puis et puis ...
j'ai dû vieillir !
Je me suis mis à t'en vouloir
je me suis pris à ne te voir
que comme les autres ...

C'était le temps les femmes la vie
qui foutaient le camp
c'était pas toi !

Peu à peu je t'ai dépouillée
de ce que je t'avais donné
j'ai voulu te rendre minable

Tu serais laide et sur tes murs
j'allais voir tes rides et c'est sur
que tu deviendrais haissable

Saison après saison j'ôte tes vêtements
je te mets à vendre à l'encan
il ne reste que ta chevelure
de lierres

Comme tous les amours ma belle !
C'est jamais elle qu'on quitte
mais les mains autour de sa taille ...
qui ne seront jamais pareilles

Dernier repas
... Ils sont quatre à se faire la tête
elle le coeur les yeux et l'estomac
qui ne veut pas d'assiette

Les yeux louchent dans la soupière
la louche fait mouche sur les paupières
et leurs poches ne se vident pas

La tête tourne sur un vieil air
vers les murs nus depuis hier
tout à l'heure j'irai voir la mer
mais la fille ne viendra pas

Seuls les passants dans la ruelle
rient fort et ça fait mal au coeur
à lui qui ne voit plus qu'elle
au fond du verre et il a tort

On a encore sa clef on referme sa porte
je vais au café: que t'importe
saluer les copains
mais leurs visages aux vieux paumés de l'ultime heure !

La tête se souvient elle d'hier
le coeur décompte ses misères
les yeux dans le verre des autres
et l'estomac ne veut rien boire ...

 

Rentre ... elle t'attend

Et le feu brûla jusqu'à l'aube et je m'étendis près de lui
les flammes dansaient en ce mai un ballet d'Igor Stravinsky
puis je vis s'échapper quelque chose qui semblait rire
dans la fumée puis dire

Je vais où va toute chose
et où tu vas je puis aller
les maisons de pierre ont deux âmes
tu m'as nommée "l'Oiseau de Feu"
toi tu passes et moi je demeure
et cependant je puis aller.

Paris 1992